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CARNET DE ROUTE (extraits)

ARRIVEE

3 octobre, 2ème jour, de la frontière Pologne/Biélorussie à Moscou

Je me réveille, courbatures, mal aux pieds, c’est la frontière biélorusse. Nuit noire, ambiance angoissante, comme dans un film d’espionnage caricatural. Miradors, barbelés, chiens, hommes armés aux casquettes larges comme des sombreros. Ridicules, mais armés, encadrent le bus. Personne ne peut descendre (…).

La forêt biélorusse défile. Immeubles gris et décrépis, impression « d’après la bombe » dans les villes qu’on traverse rarement, plantées dans la vide. Route incroyable, toute droite, 2x2 voies mais sans voitures. Vaches qui déambulent. Route s’arrête tous les 30 kms, check point, contrôles, toujours des contrôles et on repart (…).

On est passé en Russie sans s’en rendre compte ; pour une fois pas de contrôle. Paysages à la fois superbes et incroyablement tristes. Usines abandonnées ? On voit des panneaux du genre « telle village : 250 kms ». On nous passe des films dans le bus. Surréaliste « Taxi » doublé en russe, avec la même personne qui fait toutes les voix (…).

On continue sur une route qui n’est parfois pas goudronnée, des ornières énormes. C’est pourtant la plus grande route entre Moscou et l’Europe, surprenant. La nuit tombe, tout le monde commence à s’exciter, on sent qu’on va (peut-être) bientôt arriver. Une russe me dit : Moscou, 200, 300 kms… personne ne sait vraiment (…).

Vers 11h30, l’immense forêt s’arrête brutalement. Quelques kms de champs puis d’un seul coup, les lumières de la ville. On passe sans transition sur des avenues larges de 100 m, éclairage public, publicité, statues, grands ensembles de béton à perte de vue. Enfin l’arrivée au centre, gare routière, prends une vieille Lada-taxi qui roule à fond les manettes vers mon hôtel. Redécouvre cette ville, que j’avais adorée douze ans plus tôt, avec beaucoup émotion. Arrive dans le fameux hôtel « Russie », dans lequel j’étais en 1986. Face au Kremlin, pardon! Reconnais tout de suite le clinquant et le mauvais goût. Entrée dans le hall avec mon sac-à-dos, au milieu des hommes d’affaires louches aux grosses gourmettes accompagnées de pouffiasses peinturlurées. Comble de la vulgarité. Ca pue le fric et le bruit des machines à sous couvre la musique du bar (Boney M) (…).

Arrive dans ma chambre. Déco très kitch n’a pas changé depuis la dernière fois, mais plus d’accessoires. Marbre, lit gigantesque, baignoire ! Baignoire ! Je ne me suis pas changé ni lavé depuis trois jours. Grand moment quand j’enlève mes chaussettes, que je dois mettre sur la fenêtre pour préserver mon nez. Téléphone sonne. Une voix féminine me demande en mauvais anglais puis en russe si je veux des massages ou de la compagne. M’énerve beaucoup, qu’on me foute la paix ! (…)

5 octobre, 4ème jour, Moscou

(…) Mon train part à 21h. Passe ma journée à déambuler dans Moscou. La ville est en plein chantier. Beaucoup de changements depuis 1986. Arrive à la gare très en avance et m’installe dans un coin avec mon gros sac. Observe la vie moscovite. En face de moi un homme fait un coma éthylique et se fait frapper par des militaires bourrés eux aussi. Rude. En arrière-plan, Mercedes, BMW et hôtel de luxe. Cette image résume la nouvelle Russie. (…)

C’est l’heure du Transsibérien (du Transmongolien, en fait). Arrive devant mon wagon, accueilli par un gentil chinois. Le train est chinois, construit en Allemagne de l'est. Rencontre une dizaine de jeunes avec sac-à-dos, un peu perdus, eux aussi. Découvre ma cabine. Pas mal. Vieillot mais propre et confortable. Quatre couchettes par compartiment mais nous ne sommes que deux dans le mien. Volodia est ukrainien et travaille à Ulaanbaatar, il connait bien la ligne. Pas évident de communiquer. Volodia pas bavard et mon russe est encore très hésitant. J’ai beaucoup oublié depuis le lycée. Ne parlons d’ailleurs presque pas ce premier soir. Volodia très froid, je me dis que je vais passer six jours avec un glaçon. (…)

6 octobre, 5ème jour, sur les rails

(…) C’est parti. La vie s’organise dans le wagon. Il est réservé à ceux qui vont à Pékin. Les autres sont décrochés au fur et à mesure des arrêts. Pas de douches, juste deux petits cabinets de toilette pour tout le wagon. En fond de wagon, on trouve un samovar avec de l’eau toujours bouillante. Petits rideaux et bouquets de fleurs artificielles très kitch, mais tout est impeccable. Les deux chinois qui s’occupent du wagon sont adorables, très serviables mais ne parlent ni anglais, ni russe, ni rien du tout à part le chinois ! Fait connaissance avec les autres voyageurs : français, danois, anglais, allemands, peu de russes et quelques mongols… Ca parle toutes les langues. (…)

Volodia m’a juste dit bonjour au réveil puis plus un mot. Il passe son temps à fumer en regardant le paysage (d’ailleurs pas vraiment beau pour l’instant). Repas de midi dans la cabine. On déplie la table en formica. Il sort de son sac un saucisson, du poisson fumé, du pain, du fromage et une bouteille de vodka avec deux verres. Puis me regarde, me sourit ( !), remplit les verres et m’invite à trinquer : Na zdarovié, tovaritch! Voilà, la glace est rompue, il faut savoir attendre avec les russes, laisser du temps. Il m'a observé, il a décidé que j'étais sympa, ça marche comme ça. On commence à parler en russe, il me dit constamment de me resservir, on reboit un verre. On parle toute l’après-midi. Je suis son pote, maintenant. (…)

8 octobre, 7ème jour, quelque part en Sibérie

(…) Temps s’étire dans le train. Comme un bateau, nous voguons interminablement sur un océan de contrastes. La fumée de la loco pue et colle. Nous passons le temps entre le wagon-restaurant tenu par une grosse russe, aimable comme une porte de prison tant qu’on ne lui a pas pris au minimum cinq bouteille de vodka, passons de compartiments en compartiments pour discuter, manger, jouer aux cartes. Chaque soir, une soirée s’organise spontanément dans un des compartiments. Nous étions dix dans le notre hier soir. Volodia était disert et ravi (sans le montrer, mais je commence à le connaître) de passer cette soirée avec autant d’européens. (…)

Nous nous arrêtons régulièrement dans une gare, sans trop savoir où nous sommes. Faisons notre petit tour sur les quais, aperçois quelques maisons et immeubles sans avoir le temps de pousser plus loin. Faisons nos petites courses dans les kiosques sur le quai (bière, pain, soupes déshydratées chinoises, plat de base de tous) ou achetons directement aux babouchkas ou aux enfants des fruits et du poisson fumé. Quand on voit notre chinois imperturbablement souriant se mettre au garde-à-vous devant le wagon, on sait que c’est le moment de remonter. (…)

Y’en a marre des bouleaux. Des bouleaux, toujours des bouleaux… et des usines abandonnées perdues dans le brouillard, qu’on découvre derrière le rideau végétal. Arrêt assez long à Irkoutsk. J’ai le temps de sortir un peu dans la rue, pour ne voir que pauvreté, ruine d’un pays. Puis nous arrivons enfin sur le Baïkal que nous longeons avant de tourner vers le sud. Il ressemble plus à une mer qu’à un lac. De gros nuages, des montagnes, des petites maisons de bois qui parsèment les ballasts. Ca y est, je sens que la Mongolie approche. Quelques montagnes, la forêt devient clairsemée, des bouts de steppe apparaissent. (…)

9 octobre, 8ème jour, entrée en Mongolie

(…) Passage de la frontière russo-mongole de nuit. La douane mongole débarque. Impressionnante, belle et ridicule. Commandée par une femme grande et sèche, bottes de cuir et casquette encore soviétique, suivie d’une brigade de femmes armées. Remplissons papiers et donnons nos passeports dans un demi-sommeil. Fouille des cabines pour la forme, avec un sérieux et une rudesse plus comiques qu’autre chose. Une ou deux heures plus tard, on nous rend nos passeports et nous repartons. Ca y est, je suis en Mongolie ! (…)

La nuit a eu raison des autres voyageurs. Pas moi, je veux rester éveillé jusqu’à Ulaanbaatar. J’ai le nez collé à la vitre pour tout voir, mais de nuit c’est pas facile. Plus un bruit dans le wagon. J’entrevois la steppe, flocons frappent la vitre, je lutte contre l’endormissement, je lutte et c’est bon, encore quelques heures à tenir. Arrivée prévue vers 9h. Le voyage n’en finit plus, semble ne pas vouloir finir en fait, comme si le train ralentissait de plus en plus jusqu’à presque s’arrêter. Je réalise enfin que j’y suis, dans le pays des rêves de mon enfance. (…)

Nous entrons dans la « banlieue » d’Ulaanbaatar, sans transition. Ne vois que des bidonvilles de yourtes, des barres d’immeubles grises, des usines crachant des fumées noires inquiétantes, mais déja quelques cavaliers sur leur petit cheval qui galopent sur le goudron. Le train ralentit, s’arrête. Je suis à la gare, descends avec mon sac sans réfléchir, au revoir tout le monde. Il neige fort, tout est blanc. L’environnement est moche, sale, triste et je me demande vraiment ce que je fous là. Mais je crois que je suis heureux. (…)

© guillaume lofi 2008