voyages

CARNET DE ROUTE (extraits)

yourte

17 octobre 1999, 16ème jour, Kharkhorin

« Victor » le chauffeur est venu avec un ami qui vend des chevaux. Pars en moto avec lui et un autre qui parle russe. Arrive à sa yourte. Un cheval est prêt. N’a pas l’air très jeune. Je regarde un peu l’animal et refuse. Il essaye de me vendre une vieille jument. Demande à voir un autre cheval, un vrai. Famille se regarde puis l’homme part. Revient avec un étalon. A l’air solide, nerveux. Bonne santé, jambes et dents. Il doit avoir dans les 5-7 ans. Baisse les oreilles quand j’approche, recule, s’énerve. J’aime. Je demande une selle, un filet en cuir et le prépare sans leur aide. Comprennent que je m’y connais, difficile de m’arnaquer. Selle mongole en bois, fontes en cuir pour dix kg chacune, tapis de selle traditionnel mais vieux. Monte sur « Batslepslep » (c’est le nom du cheval). Petit essai tranquille pour le prendre en main. Se refuse quelques instants puis m’accepte. Demande à sortir de l’enclos. Part au galop au premier coup de talon. Bon signe. Passe seulement dix minutes en selle mais sens que c’est un bon cheval (…).

Buvons Arki dans la yourte pour discuter du prix. Famille veut 250 $. Finalement, on se met d’accord sur 150 $, monture et tout compris (…).

Bon prix pour un étranger me dit la patronne de l’auberge. Bonne affaire (…).

18 octobre 1999, 17ème jour, Kharkhorin

(…)Prends mon cheval vers 9h ce matin. Finalement donne 10 $ de plus (pour la vodka il me dit). Reviens à l’auberge. La famille de l’auberge me dit que c’est vraiment un bon cheval. Commence à préparer mes affaires. Trop de choses. Me fait aider par « Rieur », le patron. Je lui offre ma chapka russe. Il est enchanté et sors la bouteille d’arkhi. Pars pour le marché et achète de la viande de chèvre, du riz, du pain, des cigarettes (…).

Me hisse en selle en début d’après-midi. Toute la famille et les voisins sont là. « Rieur » est bourré et me montre la chapka, très fier. Ils sont inquiets. Je n’ai pas vraiment conscience de ce que je fais, ce que je vis. Traverse Kharkhorin et fait quelques kms au pas en longeant la rivière gelée. Mon cheval va bien mais difficile à mener. Il veut rentrer à la maison. Je doute un peu de ce que je fais. Je sais que je vais vers le lac au nord, 50 kms je crois, pas de carte (…).

Je suis la rivière. Kharkhorin est à l’horizon derrière moi. Autour, que de la steppe pelée. Assez froid, quelques flocons. Quelques arbres sans feuilles dans le lit de la rivière, grand lit de sable et galets (…).

M’arrête vers 17 h. Fatigué, je réalise un peu plus ce que je suis en train de vivre. J’en pleure. Prépare un feu et fais chauffer du thé. J’ai entravé le cheval. Il broute tranquillement. Peut-être que je vais dormir là ce soir. Il n’y a plus rien autour de moi, que la nature. Magique (…).

Un vieux mongol arrive de nulle part à pied, mains croisées dans le dos. S’assoie avec moi, lui offre du thé et une cigarette. Me dévisage. Il ne parle pas russe. Arrive à lui faire comprendre que je suis français en mongol-mains-dessins. M’invite à dormir dans sa « ger » (yourte) (…).

Sa ger est située à flanc de colline, à un km de la rivière. Quelques vaches et un seul cheval. S’occupe de mon cheval. Sa vieille femme est très étonnée quand il ma fait rentrer dans sa ger. Tout de suite me sourit et m’offre du tchaï (salé au beurre rance, très bon, m’y suis habitué). Ger cosy mais très pauvre, très sale. Leur vie a l’air très dure. Mangeons une soupe de pâtes et de viande que je leur donne. Me couche dans la yourte. Me sens au bout du rouleau, incapable de bouger, assommé. Trop d’émotions maintenant (…).

19 octobre 1999, 18ème jour

(…) Repars assez tôt. Je donne 10 $ à la vieille femme sans le montrer au mari. Elle ne veut pas, mais j’insiste, je lui dis cadeau en russe. Pense qu’elle comprend. Repars mais suis de plus en plus dans le doute, très seul. Content et pas content. Je rejoins la rivière en traversant les collines en biais. Vois des vautours qui tournent (…).

Continue plusieurs heures. Je vois quelques gers au loin mais ne m’approche pas. Je m’arrête pour la nuit, sur l’herbe près de la rivière. Débarrasse mon cheval, l’entrave, fait du feu pour le riz et la viande. Ma première nuit seul dans la steppe ! Incroyable, impressionnant. La nuit tombe et je ne suis pas rassuré. Sens l’immensité autour de moi. Le noir et les étoiles, c’est tout. Dors à la belle étoile. Fais froid, il gèle j’en suis sûr. Entends des hurlements de chiens (ou de loups ?) pas très loin. Pas rassuré du tout mais heureux, je crois (…).

21 octobre 1999, 20ème jour

Déambule depuis ce matin le long de la rivière, encore gelée par endroit. Chaud aujourd’hui, je suis en T-shirt. Décide de m’arrêter assez tôt aujourd’hui. Monte à nouveau le camp et fais du feu (…).

Un mongol sort sans prévenir des arbustes, à pied. S’assoie avec moi, bois du thé, je lui donne une cigarette, un verre d’arkhi. Il s’appelle Bat-Octchir. Il me fait signe de le suivre, sa ger est juste à côté, je ne l’avais pas vue, derrière les buissons. Il a quatre enfants, à qui je fais très peur. Sa femme (Doulaam) me sourit mais ne sait pas trop comment réagir. Personne ne parle russe. Il me montre un endroit derrière sa ger pour monter ma tente. Les enfants observent le montage de loin. Commencent à s’approcher. Dans la yourte, nous « discutons » autour du poêle en buvant du tchaï. Parlons avec les mains, je ne comprends rien, il n’arrête pas de me parler en mongol, comme si je comprenais. Arrivons à communiquer par mes petits dessins. Lui dis d’où je viens, parle de ma famille…

Le soir, nous mangeons des buzz, raviolis à la viande et oignons, délicieux. Les hommes mangent d’abord et s’il en reste ce sont la femme et les enfants qui mangent, mais séparément. Famille vraiment très accueillant, me sens en sécurité. Vais ensuite me coucher dans ma « ger ». Il fait vraiment très froid ce soir, le givre commence à recouvrir l’intérieur de ma tente (…).

22 octobre 1999, 21ème jour

Me réveille très tôt. Ma tente est gelée mais le soleil fait fondre les stalactites qui gouttent sur mon visage. Réveil difficile, dur, dur de sortir du duvet. Me réfugie dans la yourte qui fume déjà. Il fait très bon et la tchaï est prêt. Les filles et Sans-dent dorment encore (…). Commence à observer la vie d’une famille mongole nomade. Je prends conscience, enfin, de ce que je suis en train de vivre. Traite des juments pour faire de l’airag (lait froid fermenté, la bière mongole), du biaslag (fromage frais). Les poulains sont attachés à une corde toute la journée, les autres chevaux sont en totale liberté. Il y a un chien qui ressemble à un loup, n’a pas l’air commode du tout. Pas peur des chiens mais je ne m’approche pas de lui, trop dangereux (…). « Sans-dent » (Bat-Otchir, à qui il ne reste que quelques chicots) est grand pour un mongol, très beau dans sa tenue traditionnelle (del), très doux avec moi mais rude dans ses attitudes ; La vie est vraiment dure ici. Ne sont pas très pauvres mais ça ne doit pas être tous les jours faciles (…). « Beau-gosse », le fils aîné de douze ans, comme les trois filles « Craintive », « Curieuse » et « Grande-sœur » (environ 6, 8 et 10 ans), sont très débrouillards. Beau-gosse s’occupe tous les matins de rassembler les juments et les vaches. Les filles font la cuisine, ramassent le bois et les bouses séchées pour le feu, font la vaisselle, la lessive… Ils sont toujours en train de rire et je sens que je suis accepté maintenant, je ne leur fais plus peur (…). Sans-dent me fait comprendre que je ne dois pas repartir, que je peux rester ici avec eux. Je dis d’accord. Vivre avec des nomades c’est quand même mieux que de rester tout seul tout le temps. Sens que je peux vivre de grands moments avec cette famille adorable (…).

24 octobre 1999, 23ème jour

(…) Sans-dent et Beau-gosse partent tôt à Kharkhorin (à une bonne dizaine de kms). Le garçon va à l’école et son père va au marché. Je lui demande de passer à l’auberge pour rassurer « Rieur » et sa femme. Lui donne un peu d’argent pour acheter des pommes et des bonbons aux enfants, de l’huile et des cigarettes (…).

Sans-dent revient quatre heures plus tard, la soupe à la tomate déshydratée que je lui ai préparée est froide, il a bu de la vodka à l’auberge et se fait engueuler par sa femme mais reste digne et sort une bouteille de vraie vodka russe ! En buvons tous les deux (sa femme préfère ne pas voir ça, elle est partie traire les juments). Il me passe ensuite un del mongol en feutre, très chaud, très agréable mais qui pue, pose un chapeau ridicule et trop petit sur ma tête. Suis sur un petit nuage. Préparons les chevaux et partons tous les deux. Veut me tester et part au grand galop. Faisons la course, dressés sur les étriers. Je pleure vraiment (le vent bien sûr !). Je suis dans mon rêve d’enfant maintenant, complètement. Galopons longtemps tous les deux, les chevaux ne veulent plus s’arrêter. Sans-dent est heureux aussi de montrer son pays à un étranger. Il m’honore (…).

Mes cuisses sont fatiguées, mes fesses sont dures mais je tiens le coup. Nous arrivons à un groupe de trois gers, très pauvres. Nous rentrons dans la première yourte. Un vieillard dort sur un vieux lit en bois et un petit enfant se cache derrière sa mère, une femme qui doit avoir 30 ans, mais qui est très marquée par la vie dans la steppe. Buvons de l’airag et mangeons un fromage dur comme de la pierre, mais très bon. Repartons dans un nouveau galop pour aller voir un autre voisin (ici on est voisin quand on habite à moins d’une demi-journée de cheval). Sommes accueillis encore comme le font les nomades : la ger est toujours ouverte, il y a toujours du tchaï et on se sert, même s’il n’y a personne. Faisons ensuite une nouvelle étape, puis une autre. Rentrons tard à la yourte. Je suis épuisé, repu, je n’en peux plus, j’arrive à peine à marcher. Journée incroyable (…).

© guillaume lofi 2008